« Tout est emprunté ! »Entretien avec Thomas Rau
« Prendre, utiliser, jeter » – le système de la finitude doit être aboli, déclare Thomas Rau, architecte et auteur du livre « Material Matters ». Comme les matériaux sont précieux et limités, ils devraient rester la propriété des fabricants. La conséquence : les produits deviennent des services.
Lʼidée de lʼéconomie circulaire a presque 40 ans, mais nous nʼen sommes toujours quʼau début de sa mise en œuvre.
Nos ancêtres ont toujours agi dans le sens de lʼéconomie circulaire, tout simplement parce que les matières premières et les matériaux avaient une valeur. Après tout, on ne jette pas ce qui est précieux. Nous avons perdu de vue cette idée ces derniers temps. Aujourdʼhui, nous agissons selon le principe « après nous le déluge ». Une fois que les fabricants ont vendu leurs produits, ils ne sʼy intéressent plus réellement. Or, il est insensé de jeter des ressources précieuses et épuisables. Ces matières premières sont des « éditions limitées », alors que notre force de travail est infinie.
Quelles sont les solutions selon vous ?
Le véritable problème est que, dans le système actuel, le fabricant ne doit guère assumer les conséquences. Or, seule la prise de responsabilité permet de stimuler une « réflexion préalable » sur lʼutilisation des matériaux. Nous avons besoin de fabricants qui anticipent et qui conçoivent leurs produits de manière à ce que lʼon puisse les démonter et réutiliser leurs différents composants.
Quelle est la différence avec le recyclage actuel ?
Lʼéconomie actuelle est basée sur le principe de la destruction de valeur lorsquʼil sʼagit de matériaux. Le recyclage nʼy change rien. Il se situe en aval, en dernière position dans le cycle de vie du produit et est totalement dissocié de la fabrication. Cʼest parce que la destruction du matériau coûte moins cher que sa conservation. Si nous changeons les règles du jeu et donnons une valeur aux ressources épuisables, les entreprises développeront dʼautres produits et solutions. Le meilleur recycleur est le fabricant lui-même.
Quʼattendez-vous de ce changement ?
Un fabricant devrait rester propriétaire des produits et des matériaux. Ensuite, il fera tout pour que ses produits soient aussi durables, réparables et faciles à démonter que possible. Il les concevra de manière à ce quʼils puissent être facilement mis à niveau et ne doivent pas être jetés simplement parce quʼils ne sont pas compatibles avec des produits ou des fonctions plus récents. Cela nécessite un modèle commercial qui propose des produits en tant que services.
Les produits en tant que services. Est-ce que cela fonctionne ?
Nous avons déjà testé ce modèle à plusieurs reprises avec différentes entreprises, notamment Philips. Lʼaéroport de Schiphol à Amsterdam nʼachète pas des luminaires chez Philips, comme prévu initialement, mais de la lumière. Toute lʼinfrastructure dʼéclairage reste la propriété de Philips et tous les frais dʼentretien, y compris la facture dʼélectricité, sont également à la charge du fournisseur. Cela fonctionne parfaitement, avec des bénéfices pour les deux partenaires commerciaux.
Transposé à la salle de bains, cela signifie quʼun fabricant de sanitaires mettrait à disposition lʼensemble de lʼéquipement ?
Par exemple. Cela pourrait en outre signifier que les factures dʼeau et dʼélectricité dans la salle de bains seraient prises en charge par lʼentreprise sanitaire. Il serait donc dans son intérêt de développer des produits à faible consommation dʼeau et dʼélectricité.
Mais quʼen est-il des installations sanitaires des bâtiments ? À qui appartient le bâtiment si les conduites restent la propriété de lʼentreprise sanitaire et le carrelage celle du carreleur ?
Ce modèle de lʼéconomie de services ne fonctionne bien entendu pas avec la méthode actuelle de conception et de construction des bâtiments. Mais le changement fait partie des affaires. Lʼéconomie circulaire est un modèle pour lʼensemble de la société. Elle ouvre la voie à des formes nouvelles et surtout durables de production et dʼutilisation, mais nécessite également une compréhension différente des matériaux et donc de nouvelles bases légales.
Cela promet un processus assez long...
... et nous nʼavons pas le temps. Je suis contre lʼattentisme. Et jʼai une grande confiance dans lʼéconomie et sa capacité dʼinnovation. Mais elle doit comprendre la valeur des matériaux et de leur possession, et découvrir les avantages que cela représente pour elle. Elle sera ensuite en mesure dʼélaborer de nouvelles réponses.
Faits et chiffres
À propos de Thomas Rau
À propos de Thomas Rau
Thomas Rau est architecte, entrepreneur et auteur. Son bureau dʼarchitecture RAU Architects à Amsterdam (NL) est spécialisé dans la construction écologique depuis 1992. Aux Pays-Bas, Thomas Rau est aujourdʼhui lʼautorité incontestée dans le domaine de la construction durable et de la création de valeur circulaire dans lʼarchitecture.
En 2016, Thomas Rau et Sabine Oberhuber ont publié le livre « Material Matters. Developing business for a circular economy. »
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